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Pierre Soulages : La lumière du noir

avec Vsévolod Jaroff

Les divergences de l’art du XXe siècle se sont fait sentir dans d’innombrables révolutions qui l’ont jalonné : les tendances et les courants venaient et disparaissaient sans qu’on s’en aperçoive. Pourtant rien n’est spontané dans la société, et le modernisme n’est pas tombé sur l’humanité sans crier gare : il était préparé par plusieurs générations (de Kant à Nietzsche et Freud) et plusieurs évènements (guerres et révolutions presque permanentes) pour devenir le point final de l’art des XIXe et XXe siècles. Parmi ce vacarme politico-culturel, il est difficile de trouver sa propre voix distincte, mais notre personnage d’aujourd’hui y est arrivé avec un éclat enviable.

Pierre Soulages est né le 24 décembre 1919 à Rodez, département d’Aveyron, au Sud-Ouest de la France. S’étant trouvé à Paris à 18 ans pour la première fois, il fréquente le musée du Louvre, les expositions de Cézanne et Picasso qui deviennent pour lui des révélations et modèles. Pendant l’occupation allemande, il fait ses études à l’école des Beaux-Arts à Montpellier.

Ce n’est qu’en 1947, après Le Salon des superindépendants que la critique commence à parler de lui, et au début des années cinquante ses toiles sont déjà achetées par le Guggenheim Museum, la Tate Gallery, le Musée national de l’art moderne (Paris)… Deux ans plus tard, il reçoit un prix à la Biennale de São Paulo, et en 1957, à Tokio. Plusieurs récompenses prestigieuses y suivent: Carnegie Prize (1964), le Grand-Prix de Paris (1975, 1986), le Prix Rembrandt (1964)… En 1955, 1959 et 1964, il participe aux trois premières expositions Documenta à Kassel, forum international de plus grande portée dédié à l’art actuel.

Comment expliquer la reconnaissance précoce de Soulages ? Ses toiles où le noir domine étaient aussitôt remarquées tant elles étaient différentes de la peinture à demi-figurative et colorée. De plus, l’abstraction ne semblait plus être quelque chose de peu de valeur comme au début du vingtième siècle, quand elle était provoquée par un élan romantique vers les mystères insaisissables de l’univers. L’art non figuratif d’après-guerre, quoique très inhomogène et contradictoire, est, au premier abord, un mouvement de masse, destiné à satisfaire aux nécessités esthétiques ; il a un caractère décoratif évident.

Pierre Soulages se distingue de sa génération des peintres abstraits par un intérêt inexplicable pour la richesse du noir. Depuis 1979, il développe son œuvre à partir du noir. La pâte colorée recouvre toute la surface de la toile et demeure étrangère à toute idée de représentation. L’artiste exploite dans son œuvre toutes les qualités possibles du noir qu’il classifie comme matière violente et passionnée. La simplicité apparente du choix génère un rapport constant entre la lumière et l’œuvre elle-même.

Voilà comment le peintre lui-même parle de son œuvre : « Je continue à appeler cela du noir, en réalité c’est tout autre chose qui est en action, au point que je ne peux plus dire que mon outil n’était pas le noir mais la lumière ». En effet, cette lumière réfléchit la matière noire qui surgit et s’impose dans l’unique rapport : des coups de brosse entre eux et des rythmes striés. Ombres et reflets mêlés s’accrochent aux multiples sillons creusés dans la pâte colorée. La surface du tableau est dynamisée par ces oppositions de matière écrasée ou lisse apportant une densité de noir qui chaque fois varie. L’organisation de la toile dépend de l’orientation des stries, selon la lumière reçue et le point de vue d’où l’on regarde.

Pour la première fois ses peintures monopigmentaires fondées sur la réflexion de la lumière par les états de surface du noir ont été exposées en 1979, au Centre Georges Pompidou. Elles ont fait une grande impression et bouleversé le public. Cette lumière picturale naissant de la différence entre deux obscurités porte en elle un grand pouvoir d’émotion et de grandes possibilités de développement, on l’appellera plus tard « noir-lumière » et « outrenoir ». Pendant la période entre 1987 et 1994, il réalise 104 vitraux monumentaux de l’abbatiale de Conques.

La création de Soulages est déjà assez considérable pour organiser les rétrospectives qui peuvent donner une notion plus ou moins complète du monde de ses formes. Les plus grands musées, y compris la Nouvelle Galerie Tretiakov (Moscou) et le Musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), ont déjà accueilli ces rétrospectives gigantesques.

Concentrons-nous sur ses toiles les plus récentes qui représentent le plus grand intérêt comme œuvre déjà mûre. L’exposition à l’Ermitage en 2001 était parmi les plus grands projets du Musée. 37 œuvres constituent une certaine galerie des travaux du peintre réalisés pendant presque 50 ans (à partir du 1948 jusqu’au janvier 2001) sans prétention à la plénitude de caractéristique de son ouvrage. 9 travaux réalisés sur papier et verre et 28 huile sur toile reflètent cinq étapes : la période des signes sombres sur fond clair (au début), puis, l’œuvre colorée, dite des formes noires, qui sont accompagnées d’une ou deux couleurs. La troisième (fin des années 60) est celle de la peinture blanche-noire quand le format des toiles s’agrandit suffisamment. Pendant les deux dernières décennies du vingtième siècle, le public a été ému par les carrés, rectangles… ‘ultranoires’. Sa peinture la plus récente est marquée par l’antinomie du blanc et du noir.

La lumière et l’espace sont si importants pour la perception de son œuvre que le maître est venu à l’Ermitage en personne pour faire connaissance avec la salle d’exposition de plus près. Plus tard, il organisait l’exposition lui-même dans l’immense Salle Nicolas.

En tout cas, c’est déjà une nouvelle époque du développement de la culture postmoderniste. On est déjà plus calme en matière de révolutions. Dans le plus bref délai, paraît-il, elles disparaîtront comme telles. La « lassitude » de la culture est bien caractérisée par la question paradoxale : « A quoi bon écrire du théâtre s’il y a un Beaumarchais ? » Pourtant le tempo de la vie moderne ne permettra pas à l’art de se figer. Malgré tous les changements qui viendront sans doute, le nom de Pierre Soulages est déjà gravé comme un des plus grands noms non seulement de la culture française contemporaine, mais du monde entier.

24 September 2005. – Nizhny Novgorod — Dzerzhinsk (Russia)