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Le Transsibérien

Impossible de comprendre l’Océan sans l’avoir une fois sillonné en bateau ; impossible d’aimer la voiture sans l’avoir une fois conduite ; impossible de comprendre la Russie (même si on s’enorgueillit de la connaître sur le bout des doigts) sans l’avoir une fois traversée dans le train numéro 002M de Moscou à Vladivostok, vers ce pays des pinsons et zibelines, par le chemin de fer légendaire, « la colonne vertébrale » de la Russie — le Transsibérien.

Le Transsibérien, le long duquel sont placées les grandes villes de la Russie de l’Est, a été construit en quelques étapes. Une seule date demeure plus ou moins précise, celle du Te Deum officiel le 31 mai 1891 à Vladivostok à cause de la mise en chantier des travaux de construction du chemin de fer qui relierait les régions de l’Est à celles de l’Ouest. Le temps rectifiait peu à peu la destination des axes principaux, mais à cet instant c’est de moindre importance pour nous.

Aujourd’hui, ce voyage en train est sans pareil dans le monde entier. Bien sûr, il y a l’Orient Express de Londres à Istanbul, mais celui-ci traverse une dizaine de pays et le voyage ne prend que trois jours, alors que le train Rossia empruntant le Transsibérien propose une distraction piquante et inoubliable, celle de parcourir toute la Russie d’un bout à l’autre.

Départ de Moscou à 21 heures 20, de la gare de Iaroslavl. Le premier arrêt, tard dans la nuit, à Nijni-Novgorod dont on ne voit malheureusement qu’un panorama splendide (la ligne de chemin de fer passe à côté).

Après Kirov (Viatka), une vue singulière attend le voyageur : le Talus légendaire près de Perm. Par le temps d’été (le train longe le talus le soir), les couleurs incroyables du soleil couchant ajoutent un aspect fantastique à cette vue indescriptible.

Le rond-point avec le monument symbolique Europe-Asie, à mi-chemin vers Ekaterinbourg, exige beaucoup plus d’attention. Il faut savoir d’avance de quel côté regarder. Le chef de wagon peut parfois ne pas le savoir lui-même, alors il faut être sur le qui-vive pour ne pas le regretter après.

A travers les vitres de la voiture, Ekaterinbourg apparaît comme « une ville en rouge ». Les habitants vous diront que l’impression est erronée, pourtant les bâtisses en pierre rouge saisissent le regard, surtout si le train arrive en plein jour.

Novossibirsk, majestueuse capitale sibérienne, dépasse toutes les expectations. La prétention se manifeste déjà dans l’architecture de la place de la gare avec le bâtiment principal qui la surplombe. Avec un arrêt d’une heure environ on a la possibilité de s’y promener, de traverser les viaducs au-dessus des voies, de sentir cette ville immense et qui paraît indépendante.

Krasnoïarsk : la ville de l’eau et des fontaines. Quoique mal vues depuis le train, elles produisent une impression non moins fabuleuse que Novossibirsk.

Une nature absolument différente se fait voir après Irkoutsk, avant le lac Baïkal. Le paysage est caractérisé par une plus forte déclivité. Très peu de vues dans le monde égaleraient celle de ce lac avec les cédraies qui l’entourent.

Le BAM, considéré aujourd’hui comme partie du Transsibérien, a une certaine répercussion sociale qu’on ne peut pas méconnaître. A Mogotchi, en descendant du train et en engageant les autochtones venant sur le quai pour vendre les spécialités locales, dans des conversations, on entendra les vieilles murmurer avec tristesse : Bon Dieu créa Sotchi, le Satan Mogotchi. Après Baïkal, se font voir, hélas, des villages à demi abandonnés avec des maisonnettes noires penchées.

Aucun voyageur ne résistera à la tentation de goûter de l’omul (la perche de Baïkal) qu’on peut acheter auprès des pêcheurs locaux qui en vivent. Pour les mangeurs raffinés de viande : c’est à Oulan-Oudé qu’on sert différents plats préparés du cheval : les mantys (pâte avec morceaux de viande dedans, ébouillantées et cuites), saucissons de cheval, des morceaux entiers servis avec des légumes…

Si, en parcourant le pays des sopkis (vieilles monticules d’origine volcanique), on ajoute un peu de fantaisie dans le regard, on se sentira comme dans un récit de Bradbury, quelque part sur le Mars, peut-être…

Difficile de dire d’où vient le nom de Tchita, pourtant il existe une légende peu crédible, mais non sans charme. On raconte que quand les premiers Ukrainiens et Polonais s’y étaient installés, ils se sont demandés en voyant cette petite ville : Czy ta ? Czy nie ta ? (C’est elle ? ou ce n’est pas elle ?)

Birobidjan : l’absurdité des absurdités. La seule trace juive, paraît-il, est l’enseigne placée en haut de la gare et écrite en… yiddish.

Voir Khabarovsk et ne pas tomber amoureux du fleuve Amour (le nom même le suggère) et ses mille ponts ? Le train en traverse un dont personne ne connaît la longueur.

Et le voilà enfin, Vladivostok : destination convoitée des milliers des colons qui rêvaient d’y retrouver la richesse et d’enrichir en même temps le pays en y développant le commerce avec la Chine et le Japon. Une des plus merveilleuses villes qu’on ait jamais fondées. En se promenant dans les rues de la ville, il est impossible de ne pas regretter qu’elle soit sous-estimée au niveau national. Vladivostok est déjà un sujet à part, on y sera un autre jour.

Le voyage est plus agréable en été : on porte moins de vêtements, les journées sont plus longues, les vitres ne sont pas gelées. La sensation visuelle est évidemment plus riche. Comme vous avez compris, il ne faut pas faire cette faute banale : pas besoin de trop de nourriture. Pas d’inquiétude sanitaire à ce sujet : le domaine est très contrôlé par plusieurs intéressés.

Le plus souvent, les autochtones ne connaissent pas leur propre pays, c’est une règle empirique approuvée par l’expérience. Donc, nous avons le Transsibérien pour découvrir un peu le nôtre, nous avons les sept jours pour apprécier les ambitions impériales dont nos ancêtres étaient capables. Quoiqu’à la fin du voyage la question tacite « Comment a-t-on pu garder ce territoire immense sans le perdre ? » soit inévitable, il vaut mieux entreprendre le voyage au moins une fois dans la vie pour le plaisir de voir cette borne singulière « 9938 km », placée à la gare de Vladivostok et marquant le quasi bout du monde. A vous de jouer maintenant !

10 January 2006. – Dzerzhinsk (Russia)