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Trois esquisses théâtrales

pour le Festival de théâtre de chambre 2007 à l’Université linguistique

Les rôles interprétés pendant la première par :

II

Ludivine – Katerina Soudnikova

Maréchal-Aventurier – Alexandre Séigouchev

Annonciatrice – Opalnitskaïa Olga

Voisine – Fédossééva Julie

Amie – Kouzmina Olessia

Premier Plombier – Irène Lazaréva

Deuxième Plombier – Lioubov Maslova

Troisième Plombier – Ksénia Lochkareva

Pièce 2 était accompagnée de « Cinq pièces pour la représentation de « Les écharpes », avec les éléments de l’improvisation. A. Chernorechenski au piano.

III

Première mendiante – Anastasie Bélichova

Deuxième mendiante – Alexandra Turina

Troisième mendiante – Anastasie Tatarova

La première a été défendue par la censure de la facultéI. Au volant

DRAMATIS PERSONÆ :

Irène. – Jeune femme au volant.

Sabine. – Jeune femme du même âge au siège passager.

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Irène (s’apprête à mettre la voiture en marche). On est contentes ? Où va-t-on maintenant ?

Sabine. Aucune idée. Je suis déjà trop éreintée pour proposer quelque chose.

Irène. Bof… on a tout acheté… on a de la bouffe plein le frigo… pour toute la semaine.

Sabine. Oui, je crois… tout à fait… de quoi aurait-on besoin encore ?

Irène. Je ne sais pas. C’est à toi d’émettre les vœux ce soir. (Pousse un soupire.) Et moi… j’ai besoin d’un cœur qui aime…

Sabine. Tu railles toujours ?

Irène (d’un air conspirateur, se penchant vers Sabine). Et tu sais que j’ai reçu la permission, enfin ?

Sabine. Quelle permission ? de port d’armes ?

Irène (contente). Ouais…

Sabine. Wow ! Et… tu as acheté… le… le ?

Irène. Oui.

Sabine. Montre-le !

Irène sort un pistolet soigneusement enveloppé dans un mouchoir.

Sabine (avec piété). Putain ! J’ai des oreilles qui sifflent !

Irène. Mais apprécie qu’il soit lourd !

Sabine (s’écarte). Non. J’ai peur des trucs comme ça…

Irène, comme contaminée de peur, cache vite le pistolet, tout comme si quelqu’un pouvait les voir.

Irène. Mais où va-t-on, donc ?

Sabine. Mais j’te dis… pas la moindre idée !

Irène. Et si on allait n’importe où ?

Sabine. Tu rigoles…

Irène. Deux cœurs solitaires et abandonnés, ont-ils besoin de quelque chose ?

Sabine. Tu recommences ? je te prie, ne m’embête pas ! Je sais très bien, sans trop souvent me l’indiquer, que personne n’a besoin ni de toi, ni de moi… (Devient sombre.) Comme tu veux, allons n’importe où !

Irène met la voiture en marche. Sabine regarde mélancoliquement à travers la vitre sans dire un mot.

Irène. Mais pourquoi te tais-tu ?

Sabine. Je dois dire quelque chose ? Tu me pressures sans cesse, et je ne sais comment réagir, car je ne comprends pas tes insinuations !

Irène. Quelque chose te tourmente. Peut-être… on pourrait bien résoudre tous tes doutes… ensemble ?

Sabine. Quels doutes ? Rien n’est à résoudre ! C’est samedi soir, et je veux un peu de calme après la semaine frénétique !

Irène. Mais bon, allez ! Le temps donnera le conseil. Ne crois-tu pas ?

Sabine. Non ! non ! non ! Je ne crois en rien !

Irène. Nous deux, on a besoin d’amour… C’est tout simple.

Sabine (énervée). Chaque femme veut aimer…

Irène. On n’est pas comme les hommes… on est plus parfait que les hommes qui ne pensent qu’aux propres délices dépravés ! qui nous pourrissent l’adolescence…

Sabine. Ecoute, tu deviens de plus en plus insolite, quoi ! Tu as des jugements sur tous et tout, et assez sommaires ! Ça paraît déjà la maladie du siècle ! omniscience divine du ver !

Irène arrête la voiture d’une façon très brusque et sort du volant. Parle à Sabine à travers la vitre.

Irène. Il ne fait plus de doute qu’on veut éclaircir les relations !

Sabine. C’est pour me porter sur les nerfs que tu m’as invitée à cette promenade nocturne ? Pour me rendre plus contrite ?

Irène. Ah ça ! 

Sabine. On ne se connaît que trois semaines ! Je ne te comprends pas ! 

Ouvre la porte côté passager. Une bagarre commence. Irène essaie de traîner Sabine dehors. Sabine résiste et presque pleure.

Sabine. Dieu m’en préserve ! A Dieu ne plaise ! (Prend le visage dans ses mains.) 

Irène. Je te donnerai du fil à retordre ! (Jette Sabine par terre.)

Sabine. Au secours ! c’est quoi cette brigue ? 

Irène. Ce n’est pas une brigue ! (Pose son genou sur son plexus solaire. Sabine ne bouge plus. Irène profite du moment pour sortir le pistolet.) C’est un assaut déjà ouvert !

Sabine. Ah ! Ah !

Irène. Mais plus fort ! grand bien te fasse ! personne ne t’entendra.

Sabine. J’exige l’élucidation… 

Irène (met le pistolet au temple de Sabine). Te voilà l’élucidation ! Rien n’est encore éclairci dans ton esprit ?

Sabine (en horreur). Me tuer ?

Irène. Quelle bêtise ! Salir les mains ? (Pause.) Je… je t’aime, et je ne veux qu’un seul baiser…

Sabine (soulagée). Je le suspectais… (Passionnée, elle saisit la tête d’Irène et lui donne un baiser prolongé à la bouche.)

Tendrement, Irène aide Sabine à se lever. Sabine se lève et se serre, tout comme par hasard, à Irène. Se mettent dans la voiture et s’éloignent.

Irène (à part). Amour, amour, oh toi, petite bête sauvage ! il faut savoir te donner parfois un peu de dressage… (A Sabine.) Je t’aime, ma chérie !

Sabine. A tout jamais… chérie.

La voiture disparaît au loin.

— — — — -R I D E A U- — — — —

II. Les écharpes

DRAMATIS PERSONÆ :

Ludivine. – Jeune femme blonde, 26-30 ans. Porte un grand châle.

Sa Voisine. – Femme âgée et nerveuse, 56-60 ans.

Son Amie. – Jeune femme du même âge que Ludivine.

Annonciatrice. – Femme sans âge en habits éclatants.

Maréchal-Aventurier. – Homme remarquable touchant sa trentaine.

1° Plombier. – Homme à l’écharpe grise ; âge importe peu.

2° Plombier. – Homme à l’écharpe grise ; âge importe peu.

3° Plombier. – Homme à l’écharpe grise ; âge importe peu.

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Pièce 1 : « Ouverture ». Une chambre dans un appartement tout à fait ordinaire. Du côté face au public, une fenêtre, du côté gauche, une porte, du côté droit, un canapé. Une table au coin de la chambre, avec plusieurs journaux et quelques paquets de cigarettes. Un cendrier qui déborde. Ludivine traverse la chambre, parlant au téléphone mobile. S’assoit. La musique finie, elle parle déjà à haute voix. Elle paraît énervée et cache mal ses sentiments.

Ludivine. Me réjouir ? Me réjouir… de quoi, si j’ose demander ? Tu sais, combien de temps j’ai attendu ? Passer près de moi comme si je n’étais qu’une buée d’ombre !

Amie (voix off par téléphone). Mais enfin… ben… écoute… Tu arrêteras ou non toutes ces bêtises de l’autre monde ? Tu inventes et délires, délires et inventes ! Pourquoi exclus-tu… ?

Ludivine. Je n’exclus rien ! J’ai tant espéré… (Frise l’attaque des sanglots.)

Amie (voix off par téléphone). Ouf ! Que je suis déjà lasse de toutes ces hystéries sans cesse ni but… C’est n’importe quoi en fin de compte !

Ludivine (hystérique). Ce n’est pas n’importe quoi ! c’est sérieux ! c’est plus sérieux que tu ne penses ! (Le bruit du radiateur du chauffage central : un tuyau qui se crève. L’eau inonde la chambre.) Diable ! Ah-ouh ! (S’enfuit pour chercher un seau.) Manquait plus que ça !

Jette l’appareil sur la table sans appuyer le bouton rouge. Court pour apporter un seau.

Amie (voix off par téléphone). Allô ! allô, allô ! Tu es où ? Allô ? Qu’est-ce qui se passe ? (Déconnexion.)

Ludivine rentre et commence à se trémousser autour du tuyau qui coule. Nerveuse, elle se brûle la paume.

Ludivine. Aï ! (Secoue la paume, se lèche les doigts et souffle violemment.) Si les choses peuvent aller de travers, elles iront de travers… Perdre une amie d’un coup ! (Ramasse l’eau.) Une caricature d’amie, quoi ! Et moi qui te croyais compréhensive ! me dire que je bougonne n’importe quoi quand… Et brûler le doigt pour couronner la liste !

La Voisine entre en courant.

Voisine (hystérique). C’est quoi ce bordel ? Il y a de l’eau dans mon appart ! partout ! partout !

Ludivine. C’est le tuyau ! Aidez-moi !

Voisine. Je m’en fous de vos problèmes ! voilà ! vous entendez ? je préviens la police !

Ludivine. Allez-y ! Vos scandales ne rajouteront trop de mal déjà ! (Continue à ramasser l’eau. Continue à parler, comme si elle parlait à elle-même.) Et ces canailles qui construisent les maisons du papier avec des tuyaux qui ne supportent la moindre tension ! (A la voisine.) Allez-vous-en !

Voisine. Ma chère, tu me répondras devant la justice pour les dégâts et pour les insultes ! Je te mettrai sur le grabat !

Entre l’Amie, agitée.

Amie. Le déluge ? déjà ? Mais je ne l’avais pas commandé au Bon Dieu… Hein, ma chère, c’est à toi, donc, les manigances ? Et je n’ai pas encore fait la petite prière pour tous mes péchés !

Ludivine s’assoit au milieu de la chambre. Elle rejette le seau avec fracas. Une attaque de nerfs. L’Annonciatrice entre lentement. Pièce 2 : « L’Annonciatrice ».

Amie. Vous désirez, mademoiselle ?

Annonciatrice. Je vous prie… (Stressant le mot et levant la main.) Madame. Je suis déjà madame… et assez respectée, je vous assure.

Voisine (se moque). Vous désirez, Madame ?

Annonciatrice. Je désire…

Toutes les trois. QUOI ?

Annonciatrice. Je désire vous toutes…

Toutes les trois (choquées). QUOI ?

Annonciatrice (avec un peu de mécompréhension). Pardon? (Comprend.) Ah ! ça! vous aussi ? imprégnées de nouvelles idées de l’ancien monde ? Mais… ne vous faites pas des illusions. Je suis venue vous distribuer les écharpes.

Voisine. Quelles écharpes ?

Annonciatrice. Voilà.

Montre trois écharpes : deux noires et une blanche. Ludivine, toujours assise sur le plancher, embrasse le seau. Elle comprend de moins en moins.

Amie. De quel asile des aliénés est-elle sortie ?

L’eau continue à couler, mais personne n’y fait plus attention.

Voisine. Bedlam, ce n’est pas chez vous au hasard ? On n’est ni votre clientèle, ni vos confrères de la chambre avoisinante ! 

Les trois femmes commencent le hoo-ha, mais le vacarme s’arrête net, une fois la nouvelle venue lève la main.

Annonciatrice. Il y quelques centaines d’années, je guettais près des portes de Sodome qui brûlait. C’était moi qui avais transformé la femme de Lot en un pilier de sel… Ne me faites pas employer mon expérience encore une fois !

Pièce 3 : « La distribution des écharpes ». Improvisations. Obéissantes tout d’instant, les femmes s’assoient autour de la table et se croisent les mains sur la poitrine en attendant l’issu. L’Annonciatrice met les écharpes noires aux épaules de la Voisine et de l’Amie, et, tardant un peu au-dessus de la nuque de Ludivine, lui met la blanche. Elle selle sa décision avec un baiser sur son front. Peu à peu, les trois se réveillent. L’eau coule toujours.

Voisine (tout bas et presque indifférent). Et de l’eau qui coule…

Amie (presque chantant de façon monotone). De l’eau qui coule… de l’eau qui coule… de l’eau qui coule…

Ludivine. Donne-moi une cigarette…

Amie et Voisine (l’une à l’autre). Donne-lui une cigarette…

La Voisine donne la cigarette à Ludivine, l’allume, tend une autre à l’Amie et prend la troisième pour elle-même. Fument mécaniquement.

Ludivine. Qu’étrange est sa forme… (Tourne la cigarette dans ses doigts.) Avez-vous jamais pensé ?

Amie. Non. Pourquoi ?

Ludivine. Je ne sais pas… Mais comme si une flamme me brûlait chaque fois que je touche cette bizarre forme allongée… Elle me fait penser à quelque chose… toujours…

Voisine. Arrête de blasphémer !

Annonciatrice (intervient). N’ayez pas peur des blasphèmes qui n’existent pas. Mais prêtez vos oreilles aux sauveurs qui sonnent déjà à la porte…

Entrent trois plombiers et Maréchal-Aventurier, avec les valises pleines d’instruments.

Maréchal-Aventurier. En quoi consiste le problème ? Expliquez-moi, vite ! et de façon concise ! (Négligemment.) Bonjour.

Ludivine. Oh ! vous venez me sauver ! J’ai un tuyau… qui… coule…

Maréchal-Aventurier (donnant signe à trois plombiers). Occupez-vous du problème. (Jetant un regard de feu sur Ludivine.) Et moi… je m’occupe de… de… de… (Se lance vers Ludivine.)

Choquée, Ludivine se jette à l’abri de deux autres femmes, mais celles-ci s’écartent. Pourtant il faut éviter d’en faire un vacarme.

Voisine (d’un air indifférent). Chacun est pour soi-même… désormais. C’est écrit sur mon écharpe.

Amie (comme écho). Chacun est pour soi-même… désormais. C’est écrit sur mon écharpe aussi.

Ludivine. Mais aidez-moi !

Maréchal-Aventurier s’avance vers Ludivine inexorablement. Il est déjà prêt à saisir la femme, mais celle-ci grimpe sur la table poussant par terre les paquets de cigarettes et les journaux. Elle essaie de se cacher dans le châle qu’elle porte.

Maréchal-Aventurier. Ma proie à moi… ma proie à moi…

Ludivine. Je ne suis pas née pour cela !

Maréchal-Aventurier. Sois descendue ! vite ! vite ! c’est inévitable !

Ludivine. Insalubre idiot !

Maréchal-Aventurier. Chienne sale ! (Considère gravement.) Hmmmm… et ce n’est pas d’un plombier fétide que tu rêvais, non ? d’un vrai moujik ? ou tu veux plutôt un efféminé comme… (Jette un regard ambigu sur le public.)

Ludivine. Non ! non ! non !

Leurs gestes ressemblent à une danse. La voix d’Engelbert Humperdinck : «I love you, baby, and if it’s quite all right…». Epouvantée, la femme se couvre de plus en plus dans son châle. Au fur et à mesure que la musique va, le Maréchal-Aventurier essaie de saisir les jambes de Ludivine. Danse aux écharpes.

Ludivine. C’est un scandale ! J’ai fait venir des plombiers et vois une bande de violeurs ! Mais j’ai mes griffes à moi ! Je suis une chatte, et assez dangereuse ! Vous entendez ? Miaou !

Grimpe dans la salle des spectateurs. Les quatre hommes, ébahis, la regardent s’éloigner.

Maréchal-Aventurier (un peu stupéfait). A vrai dire, cela importe peu aux chiens ce que miaule le chat, n’est-ce pas, mes chiens de garde ? Au boulot !

1° Plombier. Wouf !

2° Plombier. Wouf !

3° Plombier. Wouf !

Avec un aboiement incroyable, les quatre s’éparpillent dans la salle et guettent Ludivine qui a trouvé abri près d’un fauteuil. Elle a saisi fort le bras du fauteuil et y reste collée.

Ludivine (au spectateur). Protégez-moi ! (Tend le châle.) Couvrez-moi, vite ! Mais couvrez-moi !

Attend que le spectateur la couvre. Ludivine tremble sous sa couverture et y geint plaintivement.

2° Plombier. Vous la voyez ?

3° Plombier. Non, mais on la sent.

1° Plombier. Ouais… son odeur sucrée me chatouille les narines… (Se lèche les lèvres.)

2° Plombier. Je crois qu’elle est là-bas. (Indique le lieu où ce trouve la fille.) Mais il faut vérifier. (A la fille.) Produis ton visage, petite sotte. Allô ? c’est toi qui sens si agréablement ? Non ? hein ?

Pause. Le wouf-wouf retentit de temps en temps.

1° Plombier. Tu ne confonds pas avec les aisselles et les pieds mal lavés ?

2° Plombier. Impossible. Mais… je suspecte que quelqu’un a vicié l’air. (Regarde le public.) Qui nous empêche de travailler ? toi ? toi ? toi ? (Indique les spectateurs.)

Maréchal-Aventurier. Revenez ! (Les trois plombiers s’arrêtent tapent du pied gauche simultanément, le petit doigt sur la couture du pantalon.) Vous allez résoudre ce problème de grande envergure ontologique plus tard. Après m’avoir trouvé la fuyarde. 

2° Plombier. Elle est définitivement là-bas ! (Indique l’endroit, où Ludivine demeure couverte.) Je vais vérifier.

Maréchal-Aventurier. Non ! pas toi ! j’aurai besoin de toi pour cirer mes bottes. La menace terroriste est grave… C’est toi qui iras. (Indique le 3° plombier.)

3° Plombier (plaintivement). Je ne veux pas mourir, moi ! et si c’est une bombe ? (A un spectateur masculin.) Accompagne-moi, s’il te plaît ! Mais, oui, oui, remous tes béquilles ! Je ne veux pas aller seul ! (Traîne le spectateur vers le châle. Parlant au spectateur.) Tu penses, c’est une bombe ou quoi ?

2° Plombier (taquine). Ou quoi…

1° Plombier (taquine). Ou quoi !

1° et 2° Plombiers (ensemble). Ou quoi ! Ou-ou-ou-ou quoi-a-a-a-a-a-a !

Le 3° Plombier mène le spectateur vers le châle à travers les moqueries.

3° Plombier. As-tu peur de lui ôter ce camouflage ? Non ? Comment ? tu as pourtant peur ? Mais c’est moi qui te prie ! Ote-lui le camouflage ! (Quand le spectateur tend la main, le 3° plombier l’empoigne et jacasse.) Et si c’est une bombe ? tu vas mourir ! et moi, je veux vivre. Comment ? tu veux vivre aussi ? pour quoi faire ? C’est dangereux, la vie ! Il y a des guerres… des famines… 

Le spectateur ôte le châle. La voix de Tom Jones : «Sex-bomb, sex-bomb, you’re my sex-bomb!»

3° Plombier. Eh-eh ! et tu avais de la frousse. Voici un petit bonbon pour toi. (Tend un petit bonbon. Repousse le spectateur.)

Maréchal-Aventurier (s’avance vers Ludivine qui tremble de peur). A-ha… (Au 3° Plombier.) Va-t’en, avant que je ne fasse le test de résistance à ta mâchoire.

3° Plombier. Mais ma bière ? où est ma bière que tu m’as promise ?

Pleurniche comme un chien battu. Le Maréchal-Aventurier arrache la femme du bras du fauteuil avec peine.

3° Plombier (escagasse). Tu ne m’as pas payé la bière ! (Au spectateur.) Tu peux m’en apporter ? Il y a un café là-bas. (Sort l’argent bouffonnerie. Fait le geste de soif intolérable.) Et toi, Brute ? (Au public.) Vous tous voulez ma mort ? (Au ciel.) De la bière ! de la bière !

Maréchal-Aventurier. Ta gueule !

Son attention retourne vers la femme : Maréchal-Aventurier la contemple longtemps. Les doigts se tendent vers l’écharpe. Pièce 4 : « Maréchal-Aventurier et Ludivine ».

Ludivine (faiblement, sans trop résister). Je vous… te… prie… ne… ne… non…

Léchant les lèvres, il lui ôte l’écharpe, la tord autour de son cou. La femme le regarde, stupéfaite. Il sort une pomme de sa poche, la donne à Ludivine. Celle-ci mord contre la pomme et s’offusque définitivement. Maréchal-Aventurier prend Ludivine dans ses bras, et, lentement, la porte à travers toute la salle pour disparaître derrière le rideau. Lui donne un baiser long sur la bouche avant de disparaître.  Les femmes sur scène regardent les hommes qui sont toujours au fond de la salle.

Annonciatrice (faisant tout le monde se réveiller). Arrêtez votre salive pour l’instant. (Aux hommes.) Vous n’avez reçu ni permission, ni statut encore. (Aux femmes.) Du même que vos marques de distinction n’ont pas encore blanchi.

1° Plombier. Mais pourquoi lui, toujours lui qui va le premier ?

Annonciatrice. C’est toujours comme ça. Il y a ceux qui font paître et ceux qui paissent en obéissant. La subordination du troupeau. Entendu parler de ça ? 

2° Plombier. Mais c’étions nous qui avons réparé le chauffage !

Annonciatrice. Importe peu. (Silence toujours.) Mais qu’est-ce que vous me regardez comme ça ? Qu’est-ce que vous voulez ?

1° Plombier. Notre prime ! (Les hommes et les femmes s’avancent vers elle, l’air menaçant.)

Annonciatrice (ricane). Votre prime ? Il faut la mériter, votre prime ! Mais vous aurez votre prix de consolation ! là ! (Jette un paquet des cigarettes, aux hommes, et un autre, aux femmes. Produit une grande bouteille de bière.) Fermez les yeux… adonnez-vous à la fumée… et l’esprit-de-vin anéantira vos désirs… (Hypnotisant ses interlocuteurs.) Vous n’avez besoin de rien. Vous vous trompez. Ce n’est pas à vous de jouer aux premiers rôles.

Soudain, se voient Ludivine et Maréchal-Aventurier passer au fond de la scène, en silence. La femme, majestueuse, tient l’homme sous le bras. Ils disparaissent derrière le rideau opposé.

Annonciatrice. Ciao, mes amis. Attendez-moi… jusqu’à ce que je revienne… peut-être…

L’Annonciatrice disparaît derrière Ludivine et Maréchal-Aventurier. Les plombiers ramassent leurs affaires et se dirigent vers la sortie.

1° Plombier. Au moins… nous avons réparé le chauffage…

3° Plombier. Au moins… ceux qui sont plus forts, nous ont inventé la bière… et c’est encore heureux !

Sortent. Les femmes qui restent, fument en silence.

Voisine (presque indifférente). Mais on me paiera… au moins…

Pièce 5 : « Epilogue ».

— — — — -R I D E A U- — — — —

III. La tartine

DRAMATIS PERSONÆ :

Première mendiante. – La plus âgée et la plus expérimentée dans la vie de rue. Elle porte les vêtements de la gamme noire et se comporte très effrontément. Elle a des défauts physiques : tout en marchant, elle a des tics et tous les indices de l’épilepsie.

Deuxième mendiante. – Moins âgée, un peu moins expérimentée que la Première. Elle porte plutôt des vêtements gris. Bigleuse. Pourtant, elle observe toujours la subordination et ne contredit presque jamais, mais fait chorus à la Première.

Troisième mendiante. – Apparemment, elle n’est pas depuis longtemps dans la rue. Elle garde toujours quelques bons habits qui marquent la provenance du milieu dit « intellectuel ». Elle a tous les indices d’une femme qui n’est pas indifférente envers l’alcool.

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Trois mendiantes sont assises au milieu du public, dans la salle des spectateurs. Les trois sont un peu bourrées. La troisième est la plus proche de la sortie.

Première mendiante (mécontente). Mais arrête de me pousser ! ça n’te suffit pas, la place ?

Deuxième mendiante. Je n’te pousse pas… je cherche une position confortable…

Première mendiante. Cherche sans me déranger, eh ? (Crie.) Je te dis, ne me touche pas ! (S’écarte de manière brusque.) Tu pues !

Deuxième mendiante. Toi aussi! (Fouillent dans les déchets.) Et d’où sort-elle, cette nouvelle ?

Première mendiante. Oui, toi, d’où viens-tu ? 

Deuxième mendiante. T’entends la question, non ?

La Troisième mendiante continue à fouiller tout comme si elle n’avait rien entendu. Elle produit des sons bizarres : frou-frou du papier, grognements etc.

Première mendiante. Eh-eh ! fais gaffe à celle-ci ! regarde ! elle fouille dans mon sac !

Troisième mendiante. Dans ton sac ? C’est écrit où ? Les richards jettent, les pauvres partagent !

Première mendiante. T’es tombée d’la Lune, quoi ? c’est pas ça, la loi d’la rue !

Deuxième mendiante. Eï ! R’garde ! Bas les mains, bigleuse !

Troisième mendiante (enragée). Qui est bigleuse ? moi ? quand t’es-tu regardée dans le miroir pour la dernière fois ?

Première mendiante (menaçant). J’répète : bas les pattes, intruse ! bas les pattes !

Troisième mendiante. Que diable « bas les pattes » ?

Deuxième mendiante. Si tu n’veux pas vivre comme nous, hors d’ici ! Cherche-toi une autre décharge, v’là !

Troisième mendiante. Mais il m’est plus confortable ici qu’ailleurs !

Première mendiante (au public). Hein ! Vous voyez ça ? (A la Troisième.) Et si c’est nous qui sommes patronnes ici ? C’est à nous de décider qui recevra à manger et qui va sucer la patte…

Deuxième mendiante (donne un clin d’œil.) …ou encore quelque chose ! (Les deux rient follement.)

La troisième profite du moment où les deux rient pour fouiller un peu dans le container. Elle y pêche un rouleau qu’elle commence à déployer.

Première mendiante. Elle emporte notre bouffe !

La Troisième mendiante essaie de quitter le rang. Elle se fraye le passage à travers les spectateurs et les dérange. La Première et la Deuxième mendiantes la suivent avec des commentaires comme « Elles ne sont pas trop longues, tes jambes ? », « Mais qu’est-ce que tu es assis là ? », et ainsi de suite. L’action se déplace dans le passage. La Première va titubant et avec des tics, la Deuxième montre son œil bigleux au public.

Deuxième mendiante (au public). Vous avez vu ça ? la fin du monde! les intruses dictent la loi ! 

La Première et la Deuxième courent après la Troisième dans les passages de la salle, et la Troisième mendiante arrive à échapper une ou deux fois les pattes de ses persécuteurs. La troisième fois, elle n’a pas de succès : la Première et la Deuxième attaquent définitivement le rouleau.

Première mendiante (déployant le rouleau). Mais il n’y a rien là-dedans ! provocation ?

Deuxième mendiante (évidemment, elle ne comprend pas le sens du mot, mais répète, heureuse d’apprendre un mot intelligent). Procovation ! procovation !

A ce temps-là, un sac est jeté à la scène. Il est plein de choses recyclées. Sur le sac il est écrit : « Rendons la vie des pauvres plus confortable ». Les trois mendiantes se lancent avec brouhaha vers la scène. Etripent le sac. 

Première mendiante. Mais c’est à moi !

Deuxième mendiante. Non, c’est à moi !

Troisième mendiante. Et pour moi ?

Deuxième mendiante (fait la nique). V’là ! T’es encore bleue ! Attends un peu…

Première mendiante. Oui, chez nous, ça s’appelle : « Respecter la… la… » Comment ça s’appelle ? Respecter la su… ?

Deuxième mendiante (ne comprend pas). La su ?

Première mendiante. La su. Bref, respecte la su !

Deuxième mendiante. Oui, oui ! respecte la su ! (Continuent à étriper le sac.)

Première mendiante (heureuse). Je me suis souvenue ! Respecte la… (Avec orgueil. Lève le doigt et le nez très haut.) SU-BOR-DI-NA-TION !!! V’là ! (Revient à sa besogne. Soutire les paquets de cigarettes, les bouteilles en plastique et autre bric-à-brac.)

Troisième mendiante. J’veux ça !

Première mendiante. De quoi ? et ta sœur ?

La Troisième arrive à tirer un jouet d’enfant. Mais elle ne se réjouit pas longtemps. La Deuxième, avec un rire fou, lui arrache le jouet.

Troisième mendiante. Aï ! Brigande ! Voleuse !

La Première et la Deuxième mendiantes commencent à jeter le jouet l’une à l’autre. La Troisième, visage hébété, court sur la scène, essayant de ressaisir sa proie perdue. Enfin, la Première jette le jouet dans le public. La Troisième court dans la salle, la Première se lance après elle.

Troisième mendiante (au spectateur). Tu m’le rendras ? j’sais qu’t’es bon ! tu comprendras les souffrances d’une pauvre !

Première mendiante (au spectateur toujours). Non ! ne lui donne rien ! elle est menteuse !

Troisième mendiante (au spectateur). Témoigne qu’c’est moi qui ai trouvé ce trésor ! (Indique le sac de son doigt.)

Si le spectateur redonne le jouet à la Première, la Troisième l’attaque pour arracher le jouet et se lancer vers la scène. Si c’est la Troisième qui reçoit le jouet, elle court de nouveau sur la scène. Quoique ce soit, sur la scène elle se retrouve, jouet à la main, entre les deux premières mendiantes.

Première mendiante. Elle devient insupportable ! Il faut lui faire justice enfin.

Un couteau apparaît dans la main de la Deuxième qui attaque la Troisième. Celle-ci pousse un terrible cri et tombe. Choquée, la Deuxième laisse tomber le couteau et fait bond en arrière.

Première mendiante (en horreur). Diable ! tu l’as tuée !

Deuxième mendiante. Je n’voulais pas ! mais c’est toi qui l’as proposé !

Première mendiante. Personne ne t’obligeait à sortir ton couteau maudit ! Aï ! les flics !

Deuxième mendiante. Vite ! vite ! vite ! on s’casse ! (Se sauvent.)

Première mendiante (derrière le rideau). Ah, canaille ! on a perdu une si prestigieuse décharge !

Une gifle claque. Les deux s’éloignent en jacassant. Quand le tapage est fini, la Troisième commence à se bouger peu à peu. Se lève et s’assoit sur la scène.

Troisième mendiante (au public). Elles sont parties, ces deux ? rassurez-moi ! non ? (Au public.) Bon. Ce qu’elles m’ont effrayée avec leur couteau… j’croyais qu’elle me blesserait… puis, j’ai perdu la conscience. Je ne m’souviens plus d’rien. (Examine ses habits.) Ah ! Elle m’a déchiré mon manteau ! (Au public, agenouillée.) Bonnes gens, ayez pitié ! J’mourrai d’faim et d’froid cet hiver… Que faire ? Фэр-то кё? (Fouille dans le sac éventré. Soutire une tartine.) WOW ! Joli magot ! je vis ! je vis ! je vis ! (Se lève. Au public. Son visage s’éclaircit. Mord contre le morceau comme quelqu’un qui n’a pas mange toute une semaine.) N’est-ce pas, l’bonheur ? (D’un ton officiel.) Mesdames… (Regarde à gauche.) Messieurs… (A droite.) La mort est remise jusqu’à un jour indéterminé ! La vie continue !

Quitte la scène en chantant : « Aujourd’hui, on n’a plus le droit ni d’avoir faim, ni d’avoir froid ! »

— — — — -R I D E A U- — — — —

23 November 2007. – Nizhny Novgorod (Russia)