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Vision fugitive

duhkha

Je cheminais lentement vers le lac. C’était déjà la fin de novembre, le temps aussi triste que spirituel. Les feuilles tombaient langoureusement sous mes souliers et je pouvais suivre leurs mouvements paresseux.

Pour eux, c’était déjà la fin de leur vie… Mais que leur vie fut courte… Que courte est la nôtre… A quoi bon vivons-nous? A quoi bon toute cette vanité? pensai-je… Pour tomber mort sous les pieds de l’Univers? Pour que quelqu’un me regarde de la haut et dise à son tour : Que sa vie a été courte !

En marchant plus loin à travers la ville, je vis un palais ancien, un palais qui se dressait au bord du lac pendant dix siècles déjà, qui vécut tant de vies, tant d’émoi, tant de problèmes artificiels que les humains créent pour eux-mêmes. Que pensait ce palais majestueux de nous, des êtres qui l’avaient bâti et qui ont vécu ici il y a quatre siècles ? Nous ne le saurons jamais.

J’entrai dans le vestibule. La musique lointaine se fit entendre. Un concert de la musique ancienne ! pensai-je en me précipitant vers la salle.

Les couples dansaient dans la salle vaste et solennelle. Ils étaient déguisés comme pour imiter les traditions anciennes : les dames portaient des corsets et des robes amples, sur les têtes des messieurs trônaient les perruques blanches – tout à fait comme celles du temps de Mozart…

Les musiciens jouaient les instruments aussi anciens que les vêtements des invités… Celui qui était déguisé comme roi s’approcha de moi et dit avec un geste d’antan :
-Bienvenu, mon cher… On t’invite à partager notre joie ensemble ! Maestro, la gavotte, s’il vous plaît !

Les musiciens commencèrent à jouer une gavotte que je n’avais jamais entendue… Le roi s’adressa de nouveau à moi :
-Tu es voyageur, tu viens de quelques pays inconnus et mystérieux ? En parle-moi ! Je t’en prie !

J’eus peur de parler à cet homme étrange, je ne comprenais pas où je me trouvais. Le roi interrompit mes pensées :
-Il me semble que tu as une question sublime à laquelle tu ne peux pas trouver la réponse. Je suis ici pour te répondre…

Il s’inclina, prit ma main et regarda dans mes yeux. La gigue suivit la gavotte, puis, une sarabande baroque s’éclata.
-N’aie pas peur… je suis ton ami…
-A quoi bon vivre, si notre terre n’est qu’une gare immense d’où nos trains ne partent nulle part que vers l’éternité, sans changer ce qui est autour de nous ? Nous naissons et nous mourons, mais l’Univers reste invariable… Nous semblons être si importants à nous-mêmes, mais en fait, nous ne sommes que des feuilles sur les branches des arbres…

Le roi sourit :
-J’attendais cette question, je t’attendais pour y répondre.

Après une petite pause, il reprit :
-Voilà un tout petit cadeau – un livre de ma bibliothèque que j’ai choisi pour toi. C’est ici que tu trouveras toutes les réponses à toutes les questions.

Il me tendit le livre que j’ouvris sur-le-champ. Je ne saisis que les premiers mots qui furent Rien n’est créé en vain dans cet Univers…

Je vis avec horreur que les couples commencèrent à disparaître, la musique dissipa et le roi se dirigea vers la porte lointaine, dans l’autre bout de la salle.
-Monsieur le roi, m’écriai-je, mon cher monsieur le roi, attendez, s’il vous plaît !

Il ne répondit pas, sourit, fit un geste d’adieu de sa main et sortit.

Quand j’ouvris la porte, je ne vis personne dans la salle vide… Le roi partit à jamais en me lassant avec mon inquiétude et mes questions. Je me souvins brusquement que je tenais un livre lourd dans ma main…

Je sortis, soupirai et commençai à lire… Tout à coup, tout ce que je cherchais pendant si longtemps s’ouvrit devant moi. Le roi ne me mentit pas…

Rien n’est créé en vain dans cet Univers. Chaque feuille sur les branches des arbres, chaque vie – soit des mouches, soit des êtres humains, change l’Univers. Tout ce qui est créé est irremplaçable.

Ta vie est aussi irremplaçable que l’Intelligence Primaire. L’Univers est dual : elle est une réflexion de ta propre vie, elle est en somme une réflexion de toutes les vies et de toutes les actions.

Pour changer l’Univers, tu dois commencer par toi-même. Si tu commences à te changer aujourd’hui, en même temps, tu commenceras à modifier l’Univers…

Je ne pouvais pas croire que ces mots simples puissent changer toute ma notion de l’ordre universel… pour changer l’Univers, tu dois commencer par toi-même… Que c’est simple et impossible en même temps !

Embarrassé et presque ébloui, j’atteignis le bord du lac. Les flots couraient vers le banc et se brisaient contre les pierres. Il sembla que le roi parut pour un instant dans le fond. Il me sourit…

Puis cette vision fugua aussi…

Les flots, en s’approchant de moi et en tombant sur les cailloux, chuchotèrent : Pour changer l’Univers, tu dois commencer par toi-même… par toi-même…

23 September 2001. – Nizhny Novgorod (Russia)