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Petit rayon lunaire argenté

duhkha

Béni est celui qui sut jubiler malgré les pénitences que les cieux nous infligent ; béni est celui qui sut stoïquement endurer le premier déchirement qui est toujours le plus ardu ; béni est celui qui sanglotait sur le sable chuchotant : comme moi qui arrosais l’océan déjà salé par les torrents de mes larmes ; comme moi qui tendais désespérément les mains vers le ciel taciturne…

Mille fois béni est celui qui vit le scintillement vacillant du phare à travers la brume chancelante du petit matin et celui qui pénétra le sens de la mélodie insonore qu’il esquissait sur sa corde de lumière qui courait de l’horizon vers la côte : comme moi… qui écoutais et regardais ainsi…

Mais million de fois béni est celui qui trouva son petit rayon lunaire argenté, qui put le serrer contre son cœur et le garder : contrairement à moi qui après les années pénibles des pèlerinages lointains dus signer l’abdication ignominieuse ; contrairement à moi qui malgré les prières humbles perdis son don sacré des astres…

Où es-tu maintenant, mon petit rayon lunaire argenté que la lune laissa imprudemment tomber sous mes pieds quand j’attendais quelque chose en vain sur le bord de l’océan et quand mes mains se croyaient être prêtes à t’accepter ?

Ô mon rêve resté à jamais irréalisé…

Au bout de ma fêlure morale, dans des millions d’années qui s’écouleront sur la terre, au moment où je pourrai crier à tout le monde ce que je pense, au moment où je serai libre des chaînes qui m’encomblent, au moment où je saurai que ma voix sera entendue, quand je reviendrai de l’enfer nauséabond, je me rappellerai ces soirées soûles qui n’étaient qu’à toi et à moi, et je jetterai mon souvenir diabolique de ma passion défunte dans les visages des cochons stupides et aveugles qui ne comprennent rien.

Soit ! je crierai que ce furent les étoiles ignivomes elles-mêmes et le grand océan au brouhaha incertain et aux tendres vagues déferlantes qui étaient témoins de notre grand mariage. Ce qui sera le plus impressionnant dans cette belle légende tragique, c’est qu’il n’y aura pas un seul mot de mensonge.

De quel philtre remplis-tu ma conscience pour que je ne puisse plus me débarrasser de ce fantasme ? Quelle chanson mystérieuse ont chantée les pinastres et les églantiers emperlés de rosée, pour que ce fusses toi la seule obsession de ma vie dès lors maudite ? Quelle onction disperças-tu dans l’air titubant de la nuit pour que je m’arrête net, incapable de me défendre ? Pourquoi permis-je ce sacrilège déméritoire, pourquoi ? Dis-moi ! ô mon petit rayon lunaire argenté…

Malgré tous mes tracas, malgré tous les châtiments, malgré les damnations et les regards obliques de la société, je te remercie pour la rêverie folle que tu m’offris, je te remercie pour ces deux minutes démentes de la passion inapaisée jusqu’à aujourd’hui, je te remercie pour m’avoir éclairé la vie, au prix de laquelle je payai le droit de t’embrasser.

Ô ! Deux minutes de la vie miellée au prix de mon honneur ! de ma renommée ! de ma réputation ! au prix de la virginité de mon esprit ! de ma chair ! pour ne plus te pouvoir oublier ! pour ne plus te revoir : tu étais si félon et si frêle, ô mon petit rayon lunaire argenté…

Tu n’as souri que pendant ces deux minutes éperdues, mais quand tu souriais, c’était le soleil lui-même ayant au moment de ta naissance marqué tes cheveux de son estampe d’or ineffaçable qui souriait avec toi.

Qui donc boit maintenant ma fièvre essaimée sur le sable gémissant ? À qui donnas-tu mes baisers et mes caresses ? Qui entra avec toi dans les champs herbus et les jardins embaumés, où les sauterelles chantent leur hymne d’émeraude pour les dieux sommeillants ? Pour qui esquisses-tu tes ariettes sur ton grand violon aquatique ? Pour qui joue le tambour insonore à travers cette limpidité flageolante ? Pour qui tannes-tu tes airs transparents sur les branches des arbres intouchables ?

Quand le premier vent matinal se réveilla et troubla les cordes cramoisies de l’horizon, je vis le phare d’espérance éloigné se flétrir. Et la première lumière du jour ferma les livres entrouverts du mystère mal compris.

Je ne pus pas te saisir, te sauvegarder de la disparition dans l’aube destructive du matin d’août. Tu n’entendis pas mes prières discrètes de m’offrir quelques-uns des rayons vivifiants de ta lumière inexterminable.

Tu me laissas mourir sur le littoral.

Tu t’esquivas sans même avoir expliqué pourquoi.

Ô mon petit rayon félon… mon petit rayon lunaire argenté…

Quand le dernier navire partant vers le Mars et emportant les derniers habitants de la Terre viendra me chercher, je m’agenouillerai pour la dernière fois aux confins sacrés entre l’eau et le sable, entre le Temps et l’Éternité, entre le Fini et l’Infini : et le phare lointain qui me scintillera pour la dernière fois avant de plonger toutes les espérances en obscurité, ouvrira mon cœur aux dernières prières et méditations…

10 May 2003. – Nizhny Novgorod (Russia)