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Jean Cocteau : Les fantasmes de l’irréalité

Pour une raison ou une autre, Jean Cocteau (1889-1963) n’est pas toujours classé parmi les plus éminents surréalistes français, pourtant c’est à son nom que sont liées plusieurs trouvailles expressives qui, plus tard, seront largement employées un peu partout, y compris au cinéma, où il était un des novateurs les plus originaux. A la fois réalisateur, poète, dramaturge et violoniste, toujours provocateur et scandalisant, il se tenait un peu dans l’ombre (à cause de sa timidité naturelle) de ses confrères plus célèbres : Dalí, Picasso, Aragon, Breton, Soupault…

Pourtant, pour apprécier à sa juste valeur les cinquante ans (1909-1959) de son œuvre, il faut se rappeler de sa biographie, car ses œuvres sont largement autobiographiques.

Né le 5 juillet 1889, le petit Jean courait tous les risques de ne jamais sortir de l’atmosphère bourgeoise qui l’entourait dès son enfance. Pourtant, les tentatives de son grand-père ont initié le garçon à la musique : c’est ainsi que le violon devient une sorte de fétiche pour lui. Les citations des œuvres pour violon résonnent par-ci et par-là dans toutes les œuvre où l’accompagnement sonore est possible.

Ayant raté son baccalauréat, il se trouve à l’âge de 19 ans à Paris, où il entre très vite dans le cercle de Diaghilev duquel il gardera un souvenir pendant toute sa vie : « Le premier son de cloche, qui ne se terminera qu’avec ma mort, me fut sonné par Diaghilev, une nuit, place de la Concorde. Nous rentrions de souper après le spectacle. Nijinski boudait, à son habitude. Il marchait devant nous. Diaghilev s’amusait de mes ridicules. Comme je l’interrogeais sur sa réserve (j’étais habitué aux éloges), il s’arrêta, ajusta son monocle et me dit : « Etonne-moi » (La Difficulté d’être, 1947). Un jour, Diaghilev lui lance un défi à la suite duquel apparaît le premier recueil de Cocteau, La Lampe d’Aladin, qui voit jour l’année même de la représentation scandaleuse du Sacre du printemps par Stravinsky (1909).

N’étant toujours pas guéri de ses névroses qui le tourmentaient dès le bas âge, Cocteau y trouve des ressources expressives qui le mènent de plus en plus dans la démence symbolique de l’univers surréaliste, et surtout vers l’hyperréalisme.

Explorateur du nouveau et expérimentateur inlassable, il ne cesse d’assembler les gens talentueux autour de lui. C’est ainsi qu’il participe à la fondation du Groupe des Six qui vont jouer un rôle à part dans la musique française de la deuxième moitié du vingtième siècle : Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre.

Poète par nature, Cocteau emploie le mot poésie par rapport à tout genre d’art auquel il touche. Ainsi apparaissent les « nouveaux genres » : la poésie de roman (Les Enfants terribles, 1929), la poésie de théâtre (La Voix humaine, avec la musique de Poulenc, 1930), la poésie critique (Le cordon ombilical, 1962), la poésie graphique (Poésie, 1924), la poésie cinématographique (Le sang d’un poète, 1932 ; La Belle et la Bête, 1945 ; Orphée, 1949 ; Le Testament d’Orphée,1959).

Les scénarios pour ses films sont réfléchis avec une telle profondeur que la frontière entre le cinéma et le théâtre, d’un côté, et la réalité, de l’autre, s’efface complètement. Orphée (1949), film à sponsorisation plus que modeste (blanc et noir ; Jean Marais comme Orphée ; musique de Georges Auric), représente une variation éloignée sur la légende grecque : la seule chose à unir l’Antiquité et le film est le noyau du sujet obliquement emprunté.

Les procédés spécifiques, si frais de son époque, fonctionnent de nos jours comme les effets spéciaux surtout dans les films commerciaux : la pellicule allant en arrière, les sujets d’outre-tombe, du monde parallèle des rêves et de la subconscience. Les motocyclistes, symboles de la fatalité de la civilisation, tuent Orphée et le poussent à travers le miroir vers le monde parallèle. Contrairement à la légende, Orphée (qui devrait retrouver sa bien-aimée) cherche le sens de la création. Malgré le surréalisme saillant, l’univers créé par Cocteau ne semble pas du tout impossible, car, comme l’auteur indiquera dix ans plus tard, le rôle du cinéma est de « montrer en outre avec la rigueur du réalisme les fantasmes de l’irréalité ».

Le Testament d’Orphée (1959) n’est pas tout à fait le testament de quelque personnage mythique, mais de Cocteau lui-même. Tourné quatre ans avant sa mort, le film résume toutes les idées que Cocteau avait expérimentées dans sa vie. Dans le film, on voit rassemblés Cégestes et Heurtebise (personnages inventés par Cocteau) et Picasso à qui relate la révélation principale de Cocteau : « Les œuvres existent toutes seules avant que l’artiste les découvre ». Sa fantaisie pousse le poète à l’invention d’autres phénomènes non existants, comme la phénixologie qu’il définit comme une « science qui permet de mourir un grand nombre de fois » et la machine à rendre n’importe qui célèbre en quelques minutes, et en voici une citation du film :

-Qui est cette idole qui mange les autographes ?

-C’est la machine à rendre n’importe qui célèbre en quelques minutes. <…> Elle possède six yeux, quatre bouches, et surtout ne me demandez pas pourquoi. 

Le sous-titre Ne me demandez pas pourquoi ouvre le film à la fantaisie du spectateur. Servant de clé, elle démontre les moments auxquels il faut faire surtout attention :

-Pourquoi viens-tu par la mer ?

-Pourquoi… toujours pourquoi !

L’essentiel esthétique du surréalisme est énoncé par Cégestes : Vous cherchez trop à comprendre. L’acte créatif est peu explicable en mots, comme l’affirme Cocteau, et c’est surtout vrai dans la tradition surréaliste où il faut plutôt sentir que comprendre.

Mort en 1963, il a laissé après lui un héritage très varié et très contradictoire. Toutes ses œuvres sont comme les miroirs reflétant les recherches artistiques de son époque. Dans ce sens, il ressemble beaucoup à Stravinsky qui s’empreignait des nouveautés, les élaborait et jetait aux visages des bourgeois du milieu desquels il était issu lui-même, pour rester dans l’histoire de l’art français contemporain comme très connu et très peu compris à la fois.

18 March 2007. – Nizhny Novgorod (Russia)